EN ROUTE VERS LE POSTHUMAIN
Cybernétique, du marketing au prosélytisme
A nouvelles technologies, nouveaux usages. Le développement récent des TIC- Techniques de l’Information et de la Communication- dés le début des années 1980 , années où l’on a surtout commencé à étudier la formation des usages des premiers outils , à permis de se rende compte d’une chose importante, à savoir que les outils ne suivaient pas les prescriptions des
« offreurs » ( nouveau terme pour dire « marchands ») et surtout que les usages réels de ces outils proposés étaient loin de correspondre à ce qu’on imaginait ; a ce que peut-être les « concepteurs purs » , les inventeurs, avaient imaginés. Ce qu’il faut retenir de cette période est le fait que les producteurs de ces outils ont, au début, été assez désorientés par les réactions imprévues des nouveaux consommateurs. C’est la raison pour laquelle ils se sont très vite tournés vers les spécialistes du marketing afin d’essayer de comprendre comment réagissaient les usagers et surtout comment s’installaient les usages de ce que l’on a commencé à appeler les « produits communicationnels ». Ils ont pour cela fait appel à des chercheurs qui devaient regarder comment s’opérait le processus d’insertion des TIC dans la société, une société qui devint alors de plus en plus au centre des préoccupations des chercheurs.
L’industrie de la communication a commencé à analyser comment l’on pouvait passer de l’
« innovateur » aux « adopteurs », plus particulièrement aux « adopteurs précoces » . Je passe ici sur les modèles d’étude de diffusion (information, persuasion, décision, application et confirmation) auxquels correspondent des « groupes d’acteurs » dans lesquels, par ordre, on retrouvera les adopteurs précoces, la majorité précoce, la majorité tardive et les retardataires dont je suis … Ainsi donc, grâce aux « innovateurs -traducteurs » la recherche scientifique est sortie des laboratoires pour entrer dans nos bureaux.
Je pense ici à Norbert Wiener , qui des 1947 inventait la cybernétique , dont on a une idée assez compléte dans son passionnant ouvrage « Cybernetics or control and communication in the Animal and the Machine » publié en 1947 et aux hyppies de Berkeley qui dans les années 1970 voyaient dans le micro-ordinateur la possibilité d’un raccourci du travail pour pouvoir paresser plus longtemps c'est-à-dire vivre pleinement sa vie… Ces choses là existent bel et bien mais leur utilisation ne s’est pas cantonné à ce qu’on avait imaginé, hélas. Dés les premiers temps de la bureautique, ce moment où on a commencé à s’équiper de systèmes d’information qu’on nous a présenté comme des nouveautés d’ailleurs purement techniques, « on » s’est rendu compte que la productivité pouvait augmenter et avec elle la charge de travail – En les utilisant nous remplissions des tâches nouvelles sans le savoir, cela progressivement et a notre dépens.
L’introduction de nouveaux TIC, le prestige et le pouvoir que cela procurait aux quelques utilisateurs avertis entraîna très vite une stratégie de recomposition socio-organisationnelle du travail. Aux TIC allaient bientôt s’adjoindre le stress et ses TOCs , nouveaux maux du siècle commençant. Bien entendu les « retardataires » traînaient des pieds, mais pendant ce temps l’industrialisation de l’information et de la culture avançaient avec le développement exponentiel d’une production industrielle et internationalisée telle que nous la connaissons aujourd’hui. Des industries triples et solidaires alliant une industrie du contenu, des industries de matériels et de logiciels et une industrie des réseaux qu’on appelle aussi les opérateurs de télécommunications, s’imposèrent en masse sur le marché. Je laisse de côté le marigot où les multinationales se sont amusées et s’amusent encore au jeu des fusions et autres confusions dont on peu voir les résultats aujourd’hui .Bref cette prise de pouvoir dans notre vie professionnelle et privée des TIC nous a lentement fait rentrer dans une nouvelle espace et une nouvelle temporalité annoncée : le cyberespace ; un espace inventé qui nous ouvre l’accès au service universel et à la connaissance à travers mille bouquets numériques qui devant nos yeux s’épanouissent.
Le cyberespace est un bien un espace autre, quelque chose qui se propose de substituer l’espace prédonné par un espace de données , ainsi que de virtualiser et d’idéaliser l’étendue terrestre comme le remarque très justement Antonio Casilli dans son article « Posthumani nihil a me alienum puto », Le discours de l’hospitalité dans la cyberculture » ( Revue Sociétés, n° 83, 2004/ 1) . Norbert Wiener l’avait annoncé dans « cybernétique et société », ( éditions des Deux Rives », 1949, p 149) . Il y notait, « certes il nous faudra modifier maints détails de notre façon de vivre lorsque nous entrerons en rapport avec les machines nouvelles. » En effet le voyageur du cyberespace est un voyageur qui se déplace sur un territoire fluide dans un but précis: celui de collecter de l’information et peut-être même , c’est en tout cas ce qui lui est promis et c’est pour cela qu’il est là assis devant sa Toile, d’augmenter ses connaissances . On notera que la cyberculture a engendrée elle aussi, un certain nombre de symptômes linguistiques et de mots nouveaux liés à la navigation. Qu’est-ce qu’un cyber-naute si non un navigateur , mais un navigateur d’un type nouveau , sachant , comme l’a écrit Wiener que « les organes du gouvernail d’un navire sont en fait une des formes les plus précoces et les mieux développées des mécanismes d’action en retour . » (Wiener , 1949, p 286)
Le cybernaute est un navigateur pressé, il va vite, très vite parce qu’il faut aller vite et sans appuie, sans coquille lourde comme un bateau appareillé, il va même se transformer en « surfeur » dans ces méandres inattendus de la masse de données. Savoir naviguer sur la Toile, c’est savoir où chercher et comment repérer une ou des informations et très vite développer des « cartographies cognitives » du territoire fluide de connaissance, jusqu'à devenir un véritable expert en ses lubies passagères. Le cybernaute se fait aussi nomade de la frontière numérique. Dans ce nouveau ciel entoilé on lui assure qu’il va rejoindre une communauté virtuelle et peut-être même adhérer avec elle au « culte Internet ». IL s’agit d’une métaphore bien évidemment mais aussi, comme le remarque Philippe Breton dans « Le culte d’Internet, une menace pour le lien social ?( La découverte , Paris, 2000), de liens forts avec une machine associée à des pratiques très particulières et a ce qu’elle ouvre dans la vie. Philippe Quéau dans « La planète des esprits » ( Odile Jacob, 200O), parle même d’un nouveau Luther. A propos de ces nouveaux religieux de la Toile on a l’exemple caricatural mais loin d’être isolé de ces internautes qui se mettent à vivre au su et au vu de tous en installant chez eux des caméras . Ceci est a lire comme un bel exemple de luthéranisme en effet. Ils veulent dire : nous n’avons rien à cacher, nous avons même une attitude morale, la preuve : la camera montre tout ce que nous faisons. Je parle de Luther, mais n’oublions pas Teilhard de Chardin, ce jésuite qui inventa la notion de noosphére , notion qui est aux idées ce que la biosphère est à la vie. Selon lui, ce sont les nouvelles technologies de communication qui permettront à l’avenir de franchir une nouvelle étape dans l’évolution de l’humanité. Des nouvelles technologies qui devraient nous soulager, nous permettrent de détacher les esprits de la matérialité et de les « collectiviser ». Ces thèmes de la société de la communication et de la noosphére n’ont cessé de gagner en influence au sein de la société, ceci pour une bonne raison, c’est que dans une société marquée par la crise du lien social, la promesse de plus de communication et de convivialité ne peut recevoir qu’un écho favorable. J’ajouterai que depuis la fondation de la cybernétique, on trouve que l’idée de communication est une valeur positive, que développée elle peut permettre de lutter contre le désordre et l’entropie tels que les générations de la seconde guerre mondiale qui pour Wiener n’incarnait pas autre chose que « le mal et le diable… » . C’est donc bien le futur des années 1940 qui nous est aujourd’hui proposé avec Internet. En tout cas le cybernaut contemporain, sa religion et son prosélytisme technophile, largement alimenté par les marchands, nous assure qu’Internet transforme notre existence. Et effectivement Internet a complètement chamboulé notre existence au point qu’il nous faut reconnaître que le virtuel a pris le pouvoir sur notre quotidien.
(à suivre)
Je pense ici à Norbert Wiener , qui des 1947 inventait la cybernétique , dont on a une idée assez compléte dans son passionnant ouvrage « Cybernetics or control and communication in the Animal and the Machine » publié en 1947 et aux hyppies de Berkeley qui dans les années 1970 voyaient dans le micro-ordinateur la possibilité d’un raccourci du travail pour pouvoir paresser plus longtemps c'est-à-dire vivre pleinement sa vie… Ces choses là existent bel et bien mais leur utilisation ne s’est pas cantonné à ce qu’on avait imaginé, hélas. Dés les premiers temps de la bureautique, ce moment où on a commencé à s’équiper de systèmes d’information qu’on nous a présenté comme des nouveautés d’ailleurs purement techniques, « on » s’est rendu compte que la productivité pouvait augmenter et avec elle la charge de travail – En les utilisant nous remplissions des tâches nouvelles sans le savoir, cela progressivement et a notre dépens.
L’introduction de nouveaux TIC, le prestige et le pouvoir que cela procurait aux quelques utilisateurs avertis entraîna très vite une stratégie de recomposition socio-organisationnelle du travail. Aux TIC allaient bientôt s’adjoindre le stress et ses TOCs , nouveaux maux du siècle commençant. Bien entendu les « retardataires » traînaient des pieds, mais pendant ce temps l’industrialisation de l’information et de la culture avançaient avec le développement exponentiel d’une production industrielle et internationalisée telle que nous la connaissons aujourd’hui. Des industries triples et solidaires alliant une industrie du contenu, des industries de matériels et de logiciels et une industrie des réseaux qu’on appelle aussi les opérateurs de télécommunications, s’imposèrent en masse sur le marché. Je laisse de côté le marigot où les multinationales se sont amusées et s’amusent encore au jeu des fusions et autres confusions dont on peu voir les résultats aujourd’hui .Bref cette prise de pouvoir dans notre vie professionnelle et privée des TIC nous a lentement fait rentrer dans une nouvelle espace et une nouvelle temporalité annoncée : le cyberespace ; un espace inventé qui nous ouvre l’accès au service universel et à la connaissance à travers mille bouquets numériques qui devant nos yeux s’épanouissent.
Le cyberespace est un bien un espace autre, quelque chose qui se propose de substituer l’espace prédonné par un espace de données , ainsi que de virtualiser et d’idéaliser l’étendue terrestre comme le remarque très justement Antonio Casilli dans son article « Posthumani nihil a me alienum puto », Le discours de l’hospitalité dans la cyberculture » ( Revue Sociétés, n° 83, 2004/ 1) . Norbert Wiener l’avait annoncé dans « cybernétique et société », ( éditions des Deux Rives », 1949, p 149) . Il y notait, « certes il nous faudra modifier maints détails de notre façon de vivre lorsque nous entrerons en rapport avec les machines nouvelles. » En effet le voyageur du cyberespace est un voyageur qui se déplace sur un territoire fluide dans un but précis: celui de collecter de l’information et peut-être même , c’est en tout cas ce qui lui est promis et c’est pour cela qu’il est là assis devant sa Toile, d’augmenter ses connaissances . On notera que la cyberculture a engendrée elle aussi, un certain nombre de symptômes linguistiques et de mots nouveaux liés à la navigation. Qu’est-ce qu’un cyber-naute si non un navigateur , mais un navigateur d’un type nouveau , sachant , comme l’a écrit Wiener que « les organes du gouvernail d’un navire sont en fait une des formes les plus précoces et les mieux développées des mécanismes d’action en retour . » (Wiener , 1949, p 286)
Le cybernaute est un navigateur pressé, il va vite, très vite parce qu’il faut aller vite et sans appuie, sans coquille lourde comme un bateau appareillé, il va même se transformer en « surfeur » dans ces méandres inattendus de la masse de données. Savoir naviguer sur la Toile, c’est savoir où chercher et comment repérer une ou des informations et très vite développer des « cartographies cognitives » du territoire fluide de connaissance, jusqu'à devenir un véritable expert en ses lubies passagères. Le cybernaute se fait aussi nomade de la frontière numérique. Dans ce nouveau ciel entoilé on lui assure qu’il va rejoindre une communauté virtuelle et peut-être même adhérer avec elle au « culte Internet ». IL s’agit d’une métaphore bien évidemment mais aussi, comme le remarque Philippe Breton dans « Le culte d’Internet, une menace pour le lien social ?( La découverte , Paris, 2000), de liens forts avec une machine associée à des pratiques très particulières et a ce qu’elle ouvre dans la vie. Philippe Quéau dans « La planète des esprits » ( Odile Jacob, 200O), parle même d’un nouveau Luther. A propos de ces nouveaux religieux de la Toile on a l’exemple caricatural mais loin d’être isolé de ces internautes qui se mettent à vivre au su et au vu de tous en installant chez eux des caméras . Ceci est a lire comme un bel exemple de luthéranisme en effet. Ils veulent dire : nous n’avons rien à cacher, nous avons même une attitude morale, la preuve : la camera montre tout ce que nous faisons. Je parle de Luther, mais n’oublions pas Teilhard de Chardin, ce jésuite qui inventa la notion de noosphére , notion qui est aux idées ce que la biosphère est à la vie. Selon lui, ce sont les nouvelles technologies de communication qui permettront à l’avenir de franchir une nouvelle étape dans l’évolution de l’humanité. Des nouvelles technologies qui devraient nous soulager, nous permettrent de détacher les esprits de la matérialité et de les « collectiviser ». Ces thèmes de la société de la communication et de la noosphére n’ont cessé de gagner en influence au sein de la société, ceci pour une bonne raison, c’est que dans une société marquée par la crise du lien social, la promesse de plus de communication et de convivialité ne peut recevoir qu’un écho favorable. J’ajouterai que depuis la fondation de la cybernétique, on trouve que l’idée de communication est une valeur positive, que développée elle peut permettre de lutter contre le désordre et l’entropie tels que les générations de la seconde guerre mondiale qui pour Wiener n’incarnait pas autre chose que « le mal et le diable… » . C’est donc bien le futur des années 1940 qui nous est aujourd’hui proposé avec Internet. En tout cas le cybernaut contemporain, sa religion et son prosélytisme technophile, largement alimenté par les marchands, nous assure qu’Internet transforme notre existence. Et effectivement Internet a complètement chamboulé notre existence au point qu’il nous faut reconnaître que le virtuel a pris le pouvoir sur notre quotidien.
(à suivre)