dimanche 25 mai 2008

La pupille est d'or

Maman Blanche n’est pas sa mère, papa Gustave n’est pas son père ; elle est blonde, ses frères et sœurs sont « noirs bourguignons ». Yvette Thomas n’est pas leur fille, ni leur sœur, elle est une fille de l’AP, l’Assistance Publique. Elle vient d’Auxerre, elle a un petit frère, ses parents sont morts. La pupille ira travailler chez les autres…Le voyage commence, elle traverse des familles de la Bourgogne nord : Morvan, Puisaye, Vezelayien. La première, Maman Blanche, est tout amour mais l’AP l’en arrache et la voila chez la mère Germaine. Une patronne odieuse et méchante, alors elle s’énamoure de ses vaches qu’elle doit garder et qui la protége.
Pour résister Yvette garde en tête les recommandation de Maman Blanche « Quoi qu’il arrive tu dois toujours agir en restant dans Ta vérité…tout garder dans la tête et ne rien montrer au dehors. » Yvette tête de pioche retiendra la leçon et tiendra jusqu’au bout, certaine que Sa vérité « c’est mon paquet de souvenirs d’enfance. » En elle, elle parle vache, une langue spéciale pour une « petite chose ». « Comme un chien aveugle suivant une piste, de relais en relais, de relent en relent, mes narines cherchent ce qu’elles haïssent : la pestilence du clapier, les remugles de la bauge, les senteurs du fumier, la sueur fatiguée… » écrit Yvette. La résistance à son sort est si dure qu’elle s’absente, tombe malade, presque aveugle, presque morte et l’hôpital devient sa maison - séjour extraordinaire dans une poche de silence ou l’être fragile se renforce dans sa philosophie inventée au milieu des humains abîmés.
Retour a la ferme, c’est l’ailleurs-après qui reprend : papa Gustave, le Bois de la Madeleine à côté de Vézelay et voila que des Parisiens plein aux as débarquent dans sa coure. Monsieur et Madame Zervos. « Mignonne la Dame et simple aussi quand elle le voulait mais avec peu de tête. » La Dame, c’est Yvette qu’elle trouve mignonne, plus que ça même : « votre petite reine, dit elle a ses parents adoptifs du moment, c’est un joyau brut. » Avec son mari Christian dit Taky, à la vue des dessins de la petite, ils détectent même chez Yvette un don naturel pour l’art. « L’esprit matois du paysan régalait la ruse sophistiquée des citadins » , se souvient la fillette.
Et la voila adoptée par les Zervos, des collectionneurs d’art, des éditeurs , des mécènes riches en amis artistes. Commence pour Yvette une nouvelle aventure, presque une entrée dans une carrière : muse des plus grands !
On est en pleine guerre, Vezelay est loin de Paris. Chez les Zervos on accueille et on cache beaucoup d’artistes. Yvette change de langue, passe de la patoisie au français châtié - chartier. On l’instruit, elle s’instruit. Des noms prennent chaire : Braque, « une amitié maintenue en dépit de la jalousie aigre et revancharde de Pablo Picasso ». Picasso, son professeur de dessin et grand ami, une estime réciproque. Romain Roland qui passe par là, Nusch et Paul Eluard, cachés dans le grenier, puis plus tard l’encombrant René Char…Bref , « le grand réveil ! le début de la vraie Vie ! Rien à voir avec la veillée des chaumières en hiver. » La guerre terminée, de Vézelay la communauté d’artistes reviendra à Paris. A Montparnasse, comme à Vezelay, on joue au Cadavre Exquis, se parle, se touche, s’arrache les cheveux, se jalouse, s’observe, on vit ensemble quoi avec quelques sordidités par-ci par-là.
Et tout l’art d’Yvette Thomas, son art immense – il y a du Céline de « Mort à crédit » dans son écriture, une percussion constante de sabots et de fleurs , de parler vache et de haut bourgeois, l’œil d’un vrai peintre, le talent d’un grand écrivain, l’invention d’un poète, une création rare en définitive qui fait que ce livre-témoignage, ce roman d’orpheline nous tire vers l’universel autant par le petit des hommes les plus pauvres, les plus soumis que celui des hommes les plus grands. On n'avait pas lu écriture semblable ni côtoyé la nature humaine a ce point depuis des décennies.
Un diamant brut est une absolue révélation tant sur le monde de l’art qu’en littérature.

(voir: Yvette Szczupak-Thomas, Un diamant brut. Vezelay-Paris 1938-1950, editions Métailié
On peut visiter la Fondation Zervos à Vézelay , Maison Romain Roland

1 commentaire:

Anonyme a dit…

C'est décidé je l'achète!